Arts-Scène Diffusion

L'Achéron

EARLY MUSIC

Jean-Charles Hoffelé, ARTAMAG', juin 2017

Un premier disque, herborisant dans les cinq Livres, et s’ouvrant sur le Prélude en harpégement du Ve Livre, moment magique où Bach semble naître de la viole de Marais, prévenait en quelque sorte : Jordi Savall avait enfin trouvé mieux qu’un écho, un frère.

Longtemps, cet album m’accompagna le soir, la nuit, tous les caractères de Marais y paraissaient, sa viole y prenait un délié, une apesanteur, chantait, les trois amis l’entouraient, petit orchestre de timbres qui concertait comme autant d’étoiles. De la poésie inépuisable comme cela ne se trouve pas tous les jours même dans la plus poétique des oeuvres. Puis François Joubert-Caillet élargit son Achéron pour enregistrer les si françaises Suites de Johann Bernhard Bach, merveilles de mélancolie dansantes, j’en étais si heureux, mais reviendrait-il à Marin Marais ?

Il fait mieux qu’y revenir. Un joli coffret donne à entendre en trois disques bien pleins tout le Premier Livre, alpha d’une intégrale de ce que Marais aura écrit pour le prolongement de son corps. Car c’est bien, comme Jordi Savall le fit entendre jadis, un instrument-corps que joue François Joubert-Caillet. Il y a un mystère de la viole, qui respire avec celui qui la joue, tel un troisième poumon, je ne connais pas d’instruments plus physique, plus « physiologique », car même les souffleurs sont condamnés à une réduction du rapport corps instrument : les lèvres, ce déversoir. La viole, outre qu’elle peut se substituer parfaitement au timbre de la voix humaine, est absolument, de vibrations, d’émotions, une prolongation du corps au point que l’archet semble tirer la sonorité des jambes, du plexus, vampirise la main, le poignet, le bras.

Le Premier Livre est le plus vert et au fond le moins offert. Suites de danses où s’élabore un vocabulaire, où se mire l’art de Lully, et dont les interprètes doivent « inventer » les parures, du plus court (et parfois saisissant, comme dans la Chaconne à deux violes et ses divagantes variations) au plus décoré (la Suite en la majeur où, à la viole, se conjuguent les « jeux pincés » du théorbe et de l’archi-luth). Un jour ou l’autre, il faudra bien – tous – qu’ils nous enregistrent la Sonnerie ! Mais c’est la viole dans toute l’étendue de ses registres qui doit paraître, et depuis, Jordi Savall, elle n’a pas eu de plus pénétrants aigus. Au Catalan restent les graves où il ouvrait des tombeaux, des abîmes comme en ce soir à Ambronay où pour quelques amis, il reprit sa viole tard dans la nuit, allant de Hume à Marais, éclairants allés-retours.

Tout ici saisit d’évidence, et jusqu’aux Préludes qui justement ne préludent pas, dissonants ou proclamés, sensibles où prophétiques, abyssaux façon leçons de Ténèbres ou simples invites. Clou de cette livraison : le Tombeau de Mr Meliton. Écoutez cette double plainte dont les archets de François Joubert-Caillet et d’Andreas Linos se disputent ou se concordent la douleur. Marin Marais, lui seul.


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